RWANDA : POURQUOI LES CITOYENS SONT-ILS MALHEUREUX?
Selon le Rapport
mondial sur le bonheur 2022, le Rwanda occupe l’avant dernière place en Afrique
(38ème avec 3,3 points sur 39 pays) et arrive à la 143ème
au monde sur 146 pays. Le classement mondial du bonheur est dominé par les pays
nordiques notamment la Finlande (1ère avec 7,8
points) suivie du Danemark (2e, 7,6 pts) et de l’Islande
(3e, 7,7 pts). En Afrique, Maurice (52e mondial,
6,07 pts) domine le classement, suivie par la Côte d’Ivoire (88e,
5,23 pts).
Le rapport mondial du bonheur, publié la première fois en 2012 et édité par le réseau de solutions pour le développement durable des Nations Unies, mesure le bonheur des citoyens au sein des pays au-delà d’un paradigme purement économique. Il parait annuellement le 20 mars, la journée internationale du bonheur des Nations-Unies.
La méthodologie de l’indice du bonheur repose sur un sondage mondial réalisé par l’institut Gallup dans plusieurs domaines notamment la communication, l’économie, les affaires, la politique, la justice, l’environnement. L’indice analyse plusieurs indicateurs dont le PIB par habitant, le soutien social, l’espérance de vie en bonne santé, la liberté relative aux choix de vie, la générosité et la perception de la corruption gouvernementale.
Depuis 2020, les impacts de la pandémie de la COVID-19 sur le bonheur, sur la santé mentale, sur les connexions sociales et sur le monde du travail sont considérés dans l’analyse. Les stratégies choisies par les pays pour gérer la pandémie sont également tenues en compte. À cet effet, on examine comment les pays ont réussi à réduire les décès et à maintenir des sociétés connectées et saines. L’édition 2022 du Rapport mondial sur le bonheur révèle que la crise sanitaire mondiale a non seulement apporté de la tristesse et de la souffrance, mais aussi une augmentation du soutien social et de la bienveillance.
Un énorme déficit du capital social au Rwanda
Le Rwanda se classe au dernier rang mondial au chapitre du support social avec un score de 0,1 point comparativement à une moyenne africaine de 0,6 points (voir graphique).
Alors que la gestion stricte de la pandémie (confinement total de la population) a valu au Rwanda les éloges et un important soutien financier des pays occidentaux et des institutions internationales, plusieurs analystes ont critiqué cette approche (mieux adaptée aux pays riches dotés d’une structure économique solide et d’un filet social confortable). Ils soulignent principalement des impacts négatifs du confinement sur une grande partie de la population vivant dans la pauvreté et dont la survie et celle de leurs familles dépendent de revenus tirés des activités quotidiennes.
Pendant
cette période de pandémie difficile pour tout le monde, les autorités
rwandaises ont pris plusieurs mesures controversées qui ont eu un impact
négatif sur la vie des citoyens. Ces mesures incluent notamment l’expropriation
et la destruction des maisons qui ont jeté dans la rue plus de 1000 familles
sans compensations adéquates au profit d’investisseurs privés; la destruction
des cultures vivrières de subsistance (sorgho, pommes de terre, haricots,…)
pour faire place aux cultures d’exportation exigées par les investisseurs ou
tout simplement pour afficher une image propre de la ville de Kigali en vue de
la tenue de la réunion des chefs de gouvernement du Commonwealth
(26ième CHOGM) prévue en juin 2022. Par ailleurs, au moment où
d’autres pays ont offert à leurs citoyens le report ou le rééchelonnement des
impôts et des taxes, les citoyens rwandais se sont vu imposer une hausse des
impôts fonciers.
Un autre indicateur du faible niveau de bonheur et de détresse chez les rwandais vient des résultats des recherches publiés par le Rwanda Biomedical Center (RBC) indiquant qu’au moins un rwandais sur cinq (20,5 % de la population, soit plus de 2 millions de personnes) souffre d’un problème de santé mentale.
Enfin, plusieurs organisations nationales et internationales de défense des droits humains dénoncent régulièrement les violations massives et systématiques des droits de la personne au Rwanda notamment les disparitions forcées, le recours excessif à la force, les détentions arbitraires par les forces de l’ordre et le système judiciaire.
Un modèle économique priorisant les investisseurs au détriment des citoyens
Les inégalités importantes et de plus en plus croissantes qu’on rencontre au Rwanda résultent du fait que le pouvoir a choisi un modèle économique qui accorde la priorité aux investisseurs parfois étrangers en dépossédant les citoyens majoritairement pauvres de leurs propriétés meubles et immeubles.
Le rapport « Doing Business », publié chaque année par la Banque Mondiale qui établit un classement des pays selon leur environnement des affaires, prend en compte des indicateurs tels que la réglementation, les infrastructures ainsi que la fluidité des formalités administratives et du commerce transfrontalier. Le dernier rapport 2021 classe le Rwanda au deuxième rang en Afrique et au 38ème rang mondial. Ce classement est dominé par Maurice, considérée comme le pays le plus favorable aux affaires en Afrique et qui arrive au 13ème rang mondial.
Toutefois, le rapport « Doing Business » a été abandonné en septembre 2021, après que 360 organisations ou chercheurs dans le domaine de l’économie et du développement aient signé une pétition pour réclamer son abolition, lui reprochant principalement la manipulation de données visant à favoriser certains pays.
Urgence de redresser le déficit de soutien social au Rwanda
L’exemple de Maurice qui domine le classement africain en environnement des affaires et dont les citoyens sont les plus heureux du continent confirme la théorie économique d’une forte corrélation entre la paix sociale et la croissance économique.
En revanche, le modèle de développement rwandais qui défavorise des citoyens en les dépossédant de leurs biens meubles et immeubles est insoutenable à long terme en raison d’importantes inégalités qui en résultent et des risques d’éclatement social.
La dernière place du Rwanda au chapitre du support social dans le classement mondial soulève des questions sur la sensibilité du pouvoir envers ses citoyens particulièrement en période de crise comme la pandémie et sur la capacité des citoyens à se faire mutuellement confiance et à s’entraider.
Dans ce contexte, rétablir la confiance des citoyens envers leurs institutions et leurs dirigeants et ainsi éviter les risques d’éclatement de la société requiert un leadership positif. Le gouvernement rwandais devrait remodeler complètement les rapports entre l’appareil d’État et les citoyens en améliorant la gouvernance et la gestion publique. Un examen approfondi est nécessaire sur les traditions administratives, les institutions politiques et la culture sociopolitique du pays. Les instances étatiques devraient également se pencher sur le décalage entre les engagements écrits notamment les contrats de performance (Imihigo) qui existent depuis 2006 et la satisfaction des citoyens sur le terrain.
À cet égard, les normes de l’administration publique moderne constitueraient une référence. Ces dernières considèrent l’amélioration des services aux citoyens comme le moteur et la finalité de l’action des autorités publiques. Ces dernières doivent donc apprendre à servir les citoyens avec diligence, courtoisie, compétence, efficacité, efficience et économie. Le respect des droits des citoyens reconnus dans la Constitution rwandaise, le dialogue à tous les niveaux et l’imputabilité des dirigeants s’imposent.